Erika BURIOLI, chercheuse à l’IHPE a reçu un financement ERC (European Research Council) Starting Grant de 1,5 Million € pour étudier le cancer transmissible des moules
Après des études à l’Université de Bologne à la Faculté de Médecine Vétérinaire, j’ai rejoint le laboratoire LABEO de Caen en 2017 pour un post-doc au cours duquel j’ai diagnostiqué la présence d’un cancer des cellules circulantes, une sorte de « leucémie », chez les moules bleues Mytilus edulis. Grâce à une collaboration avec Nicolas Bierne de l’ISEM de Montpellier et Michael Metzger du Pacific Northwest Institute de Seattle, nous avons montré que ce cancer a une caractéristique étonnante, qu’il est transmissible. C’est ainsi qu’en 2019 j’ai rejoint le laboratoire IHPE de Montpellier pour le projet ANR TRANSCAN et nous avons étudié les caractéristiques phénotypiques et moléculaires de ce cancer.
Les cancers transmissibles sont des entités biologiques fascinantes : ils ont acquis la capacité de franchir les barrières de l’hôte pour se propager d’un animal à l’autre par la transmission directe de cellules cancéreuses. Bien que ces formes de cancer soient très rares chez les mammifères, nous connaissons le Canine Transmissible Venereal Tumor chez le chien (apparu il y a plus de 4000 ans et aujourd’hui répandu dans le monde entier) et le Devil Facial Tumor qui a provoqué un fort déclin des populations de diables de Tasmanie ces cinquante dernières années. Ce n’est que plus récemment, en 2015, que Michael Metzger a découvert le premier cancer transmissible chez le bivalve Mya arenaria. Depuis, sept autres lignées cancéreuses transmissibles ont été découvertes, touchant différentes espèces de bivalves, dont les moules marines.
Ces lignées cancéreuses peuvent persister pendant des centaines ou des milliers d’années dans les populations d’hôtes. En l’absence de mécanismes connus de reproduction sexuée, je m’interroge donc sur la façon dont ces cancers transmissibles font face à la dégénérescence clonale qui pourrait limiter leur persistance.
Nous savons aujourd’hui que toutes les lignées cancéreuses transmissibles décrites chez les Bivalves sont hyperploïdes et que certaines sous-lignées infectant les moules (c’est-à-dire descendant d’un hôte fondateur commun) présentent des degrés distincts d’hyperploïdie (2 à 10 fois le contenu cellulaire de l’hôte). Ces différentes sous-lignées coexistent dans les mêmes populations de moules. Ainsi, l’hypothèse selon laquelle l’hyperploïdisation contribue à la persistance et à l’évolution à long terme de ces cancers transmissibles est intéressante à envisager. En utilisant pour modèle les sous-lignées infectant les moules du genre Mytilus, le projet HYPERCAN vise donc à décrypter comment l’hyperploïdie influence la fitness des cancers transmissibles et contribue à faire face à la dégénérescence clonale et à générer une diversité génétique suffisante pour persister sur de longues durées dans les populations d’hôtes. J’utiliserai une approche multidisciplinaire combinant le phénotypage et la « multi-omique » pour tester ces hypothèses évolutives.
Nous aborderons trois questions principales :
Q1. Ploïdie et fitness. Quelle est la fitness de ces sous-lignées en fonction de leur degré de ploïdie ?
Q2. Dynamique évolutive. Comment l’évolution se déroule-t-elle chez les cancers transmissibles des moules ?
Q3. Hyperploïdisation et ses effets. Comment l’hyperploïdie est-elle générée et quel est le destin des lignées hyperploïdes nouvellement évoluées ?
Le projet aura de multiples applications, au-delà de notre modèle. Il contribuera notamment à la compréhension des mécanismes génétiques qui sous-tendent l’évolution des cancers sur des temps longs et fournira des informations utiles pour évaluer les effets évolutifs et phénotypiques associés à l’hyperploïdisation des cancers.