Hommage à Claude Combes

Hommage à Claude Combes

C’est avec tristesse et émotion que j’ai appris Jeudi après-midi par Isabelle, son épouse, le décès de mon maître Claude Combes. Je connaissais l’évolution inéluctable de son état de santé mais nous pouvions tous espérer un répit.

Isabelle m’a demandé d’évoquer ici le long et riche itinéraire scientifique de Claude Combes, s’étant rappelée que je lui avais dit un jour que j’avais passé beaucoup plus de temps avec son époux qu’avec ma famille. Ayant été son premier étudiant en thèse et son plus ancien collaborateur, j’ai parcouru en effet un très long chemin scientifique avec lui de plus de 40 ans. Cette longue cohabitation a été marquée par un profond respect réciproque, j’ai toujours vouvoyé mon maître.

Reçu second à l’agrégation de sciences naturelles en 1958 sans passer par l’école normale supérieure, Claude Combes pouvait espérer embrasser une brillante carrière d’enseignant en lycée ou en classes préparatoires. Il était fier de cette place de second, lui le provincial, car le premier de sa promotion n’était autre que Jean-Pierre Changeux, le célèbre neurobiologiste mondialement connu, auteur de « l’Homme neuronal ». Claude Combes n’envisageait cependant pas d’autre avenir que celui d’enseignant-chercheur, le virus de la recherche lui ayant été transmis par nôtre maître commun, le professeur Louis Euzet, son directeur de thèse. Il fut nommé assistant en 1961 au Collège scientifique universitaire de Perpignan (le CSU), embryon de la future Université de Perpignan, créée en 1970 après fusion avec le Collège littéraire universitaire (CLU). Il poursuivit toute sa carrière d’enseignant-chercheur à l’Université de Perpignan, malgré les nombreuses sollicitations nationales et internationales pour occuper des chaires dans des Universités dites plus prestigieuses. Il termina sa carrière académique à Perpignan avec le grade de professeur de classe exceptionnelle.

Pr. Louis Euzet Claude Combes en 1981 (© A Theron)

La fonction d’enseignant-chercheur implique par définition d’enseigner et Claude Combes fut un enseignant exceptionnel. Certes, l’agrégation l’avait préparé à ça mais il avait hérité du gène pédagogique : ses cours étaient d’une rigueur et d’une clarté rares. Je n’ai connu aucun de ses étudiants qui n’aient été fascinés par son charisme en sortant de l’amphithéâtre. Il fut aussi un conférencier vulgarisateur captivant, la vulgarisation scientifique était au cœur de ses réflexions ; il aimait la transmission, le passage du savoir.

Mais le nom de Claude Combes reste associé pour la communauté scientifique internationale au chercheur qui donna ses lettres de noblesse à l’écologie parasitaire avec son collègue montpelliérain, le professeur Jean-Antoine Rioux. Ses travaux de recherche dans le domaine de la parasitologie et de l’écologie parasitaire s’inscrivent dans la continuité de sa thèse de doctorat d’État, soutenue en 1967, et sont centrés sur la transmission, l’écologie et l’évolution des organismes parasites. Ses recherches et celles de son laboratoire, de nature fondamentale à l’origine, se sont progressivement orientées vers des modèles d’intérêt appliqué, plus précisément vers l’étude des relations existant entre la diversité génétique des agents pathogènes et leurs propriétés médicales. Le modèle d’étude privilégié était représenté par les agents pathogènes responsables des Schistosomoses (les schistosomoses constituent la 2ème endémie parasitaire au monde affectant plus de 250 millions de personnes dans les régions tropicales).

Claude Combes a été à l’origine de toute une série de concepts en parasitologie et écologie parasitaire :

  • Il fut un des premiers chercheurs à démontrer le rôle et l’importance des parasites dans la dynamique et l’évolution du vivant. Tout être vivant est concerné par le parasitisme soit en tant qu’hôte, soit en tant que pathogène ;
  • Il fut le premier à introduire le concept d’interaction durable pour définir  la pérennité de la relation hôte-parasite ;
  • Il fut aussi un des premiers à émettre l’hypothèse du rôle qu’avaient certainement joué les parasites dans l’émergence de la reproduction sexuée au cours de l’évolution.

Son œuvre scientifique ne peut se satisfaire d’une énumération de travaux mais sa production scientifique est quand même significative : plus de 200 publications parues pour la plupart dans des revues internationales d’excellence en parasitologie et écologie parasitaire ; il est l’auteur de plus de 10 ouvrages d’écologie parasitaire et de biologie évolutive en langue française et anglaise. Ses ouvrages sont des références dans son champ disciplinaire et des livres de chevet pour tout chercheur voulant embrasser une carrière en écologie parasitaire ; plus de 30 directions de thèses et d’HDR et plus de 50 participations à des jury de thèse souvent comme président (pour tout thésard en parasitologie fondamentale ou appliquée ou même en biologie, avoir Claude Combes à son jury de thèse était une quête du Graal; très exigeant sur la qualité du travail de thèse, il pouvait ne pas accepter, mais il le faisait toujours avec bienveillance et humilité).

Bien sûr, son parcours académique s’est accompagné de nombreuses prises de responsabilités administratives. Il a créé en 1961 le laboratoire de Biologie Animale à l’Université, laboratoire qui fut associé au CNRS en 1980 d’abord sous la forme d’une URA et en 1990 sous la forme d’une Unité mixte de Recherche CNRS-UPVD, dont le CNRS me confia la Direction sur sa proposition. Le laboratoire devenait aussi alors Centre collaborateur de l’OMS. Cette UMR s’est particulièrement étoffée depuis sous la direction de mes successeurs dont le professeur Guillaume Mitta, qui y a développé un plateau technique d’excellence permettant des approches de génomique, de protéomique et d’épigénétique de très haut niveau. Cette UMR figure parmi les laboratoires d’excellence de l’Université, avec une aura internationale unanimement reconnue par les pairs.

Le laboratoire en 1976 (© A Theron)

Claude Combes a été aussi un bâtisseur puisque qu’il fut à l’origine de la création en 1988 avec son collègue Bernard Salvat du Centre de Biologie et d’Ecologie Tropicale et Méditerranéenne qui abrite notre UMR et le CRIOBE , autre laboratoire d’excellence de l’Université.

Sa notoriété nationale et internationale lui a valu de nombreuses  reconnaissances et prix scientifiques : médaille d’argent du CNRS (1986), médaille Skryabin (USSR Academy of Sciences) (1991), prix scientifique Philip Morris (1990) pour l’ensemble de l’œuvre de son laboratoire. Il fut  élu correspondant de l’Académie des sciences en 1996, puis membre en 2004 (section Biodiversité et Évolution). Il fut membre titulaire de l’Académie d’agriculture de France en 1999. A ce sujet, il fallut attendre plus de 200 ans après l’entrée à l’Académie des Sciences en 1810 de François Arago pour que notre terre catalane s’honore d’avoir deux nouveaux académiciens, Claude Combes et le chimiste montpelliérain d’origine catalane Robert Corriu. L’UPVD a augmenté son quota d’académiciens depuis.

Médaille d’argent CNRS en 1986 (© A Theron)
Pr. Claude Combes à Académie des sciences en 2004 (© A Theron)

Je terminerai cet hommage qui n’est vraiment qu’un court raccourci de ce que fut l’itinéraire scientifique de Claude Combes, par une note plus personnelle. Jeune étudiant, j’ai eu l’occasion d’accompagner Claude Combes sur les rives des lacs pyrénéens, à de nombreuses occasions, lors de ses collectes d’amphibiens, son modèle d’étude de thèse. J’étais alors chaque fois émerveillé par ses connaissances encyclopédiques de la nature aussi bien animales que végétales ou géologiques, qu’il accompagnait parfois de réflexions personnelles. … Arrêtez-vous un instant Jourdane, nous avons le temps, et admirez la beauté et la grâce de ces plantes de l’étage alpin, de cet Arnica de montagne, de ce Lys des Pyrénées, ou encore de ce Trolle européen, et d’ajouter « Le bonheur et l’altruisme sont certainement dans notre capacité à nous émerveiller de la magnificence de la nature ». Claude Combes était un être discret, il se livrait très rarement. Partager ses réflexions sur les mystères de la vie fut un privilège qui participa certainement inconsciemment à mon orientation professionnelle.

Claude Combes a été un chercheur de très haut niveau, inspirant, qui savait avoir du recul et qui avait gardé sa capacité à s’indigner. Si ses facultés cognitives ne l’avaient pas abandonné au crépuscule de sa vie, je suis certain qu’il se serait interrogé sur ce que nous chercheurs n’avions pas fait pour que l’attitude ambiante vis-à-vis de la science soit à ce point dominée par le scepticisme moderne et par le complotisme.

Claude Combes fait partie des meilleurs biologistes français et mondiaux de ces 20 dernières années. Je pense qu’il serait honoré que je le qualifie de Richard Dawkins français, le grand biologiste visionnaire anglais.

Claude Combes, vous avez marqué la science française en général et la biologie en particulier, l’acuité de votre perception du monde vivant nous manquera beaucoup.  Vous avez été un « homme de science » et non un « technicien de la science ».

Mes pensées accompagnent sa femme Isabelle, sa fille Marie-Cerguine, ses proches et tous ceux qui ont eu le bonheur de partager un moment de vie avec lui.

 

Par José Jourdane,
Directeur de Recherches honoraires CNRS, ancien directeur du laboratoire